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La flûte à bec est morte

Vive la flûte à bec



sauvons flute à bec

A la récré, il n’y aura plus de prise de bec pour la flûte du même non.
C’est bien fini pour cet instrument, popularisé sous le sobriquet de pipeau pour des générations de collégiens. En cette rentrée scolaire 2014, la flûte à bec n’a pas été comptabilisée dans l’enquête sur le coût des fournitures scolaires du panier type du collégien.

En septembre, Les médias se sont rués sur cette info
et la flûte à bec a fait le buzz.
Pourtant cette réalité date de 2008 avec sa disparition des programmes de l’éducation musicale au collège.
Déjà en 2012, soit quatre ans après la parution des programmes actuels seuls 10% des enseignants interrogés déclaraient la pratiquer dans leur classe.
Officiellement, la flûte à bec ne trouve sa place dans les instructions ministérielles qu'en 1985, puis à nouveau dans les programmes de 1995. Il s'agit alors de développer la sensibilité de l'élève et de permettre la compréhension du langage musical. Déjà à partir de la fin des années 1960 et surtout 1970, le mouvement pédagogique avait soutenu le développement de la créativité et à la démocratisation des pratiques culturelles. La flûte (appelée à la l’époque flûte douce) met tout le monde d'accord, mêlant autonomie artistique et apprentissage du solfège.

Après plus de trente années de bons et moins bons services, en 2008, l’exclusion de la pratique de la Flûte à bec est effective même si le langage administratif reste abscons. Rien n’est dit ouvertement.
Il est écrit dans la circulaire du Ministère que le programme d'éducation musicale au collège encadre l'usage des instruments de musique en classe : "Cette démarche ne peut (...) impliquer une pratique musicale développée pour elle-même et installée dans la durée du temps scolaire."
Il fallait comprendre à demi-mots : l’Éducation Nationale n’a pas vocation à initier des instrumentistes.

Mais qui a tué la Flûte à bec à l’école et au collège ?
“Le diagnostic était posé depuis longtemps, affirme Vincent Maestracci, inspecteur général de l'Éducation nationale. Mais dans une administration comme l'Éducation nationale il y a une certaine inertie. Désormais, on se concentre sur la voix, qui est l'instrument de musique le plus démocratique qui soit” .

La légende voudrait qu'un inspecteur ait pris la décision de supprimer la flûte après avoir entendu une classe massacrer Vivaldi une fois de trop. Légende ou réalité quant on lit les propos récents d’un inspecteur pédagogique régional d’académie :  « Moi, je suis violoncelliste. Ça ne me viendrait jamais à l'idée d'apprendre le violoncelle à trente marmots à raison d'une heure par semaine. Il y a les écoles de musique pour ça. Leur apprendre le solfège ? Ce n'est pas notre rôle. Et heureusement, car sinon, quel échec ! Non, notre rôle est plus limité et beaucoup plus ambitieux. Leur faire découvrir la musique. Leur apprendre à écouter, les sensibiliser à des répertoires variés et les aider à utiliser l'instrument le plus naturel : la voix. Je n'ai jamais entendu une chorale aussi fausse qu'un orchestre de flûtes à bec. Dans une classe qui chante, il y a toujours quelques bourdons. Mais là, ils bourdonnent tous. Artistiquement, c'est terrible.".
Bel enterrement de première classe.

Ces propos sont tempérés par ceux d’un enseignant en collège "Tous les élèves n'accrochent pas. Certains préfèrent chanter, et c'est très bien comme ça. Mais d'autres adolescents sont gênés de faire entendre leur voix. Trop intime. Pour eux, la possibilité de jouer d'un instrument est un soulagement."

L'APÉMu  (Association des professeurs d’éducation musicale) rappelle dans un courrier récent envoyé aux médias et journalistes qu’il est injuste de laisser penser que l'enseignement de la musique se résume au cours de flûte : « les pratiques instrumentales et vocales se sont diversifiées au collège ».
Les programmes officiels rappellent d'ailleurs la finalité de l'éducation musicale : « En prise avec l'univers sonore et musical de la société contemporaine, l'éducation musicale au collège accompagne les élèves dans une approche maîtrisée de ces réalités en mouvement (...). Prenant en compte la sensibilité et le plaisir de faire de la musique comme d'en écouter, elle apporte les savoirs culturels et techniques nécessaires au développement des capacités d'écoute et d'expression. »
D’ailleurs depuis quelques années, grâce à des initiatives individuelles et associatives, avec Orchestres à l’école ou Passeurs d’art, c’est bien l’ensemble des instruments de l’orchestre qui ont envahi les classes élémentaires ou de collèges.

Alors pourquoi la Flûte à bec ne pourrait-elle pas faire une nouvelle apparition dans ce cadre d’orchestre à l’école ?
Car la flûte à bec, véritable instrument de musique à sa propre et belle histoire.
Les baroques Bach, Telemann, Vivaldi (magnifique concerto RV441 pour la flûte à bec alto en fa ou la Notte ou pour Piccolo RV 443) lui offrent un vaste répertoire soliste ou dans l’orchestre. Puis c’est un trou noir de près de 150 ans.
En 1772 (Mozart à 16 ans), le voyageur musicographe Charles Burney, de passage à Anvers, s'entend dire que les flûtes à bec qui sont exposées dans la maison des Osterlins ne sont plus jouées depuis un siècle et que plus personne ne sait s'en servir. En 1774, un inventaire dressé à la cour princière d'Anhalt-Zerbst fait état d'une demi-douzaine de flûtes à bec. Jusqu’au XIXème siècle elle reste peu utilisée.

Dès 1905, on doit à Arnold Dolmetsch, musicien, luthier, musicologue et violoniste anglais la fabrication de plusieurs instruments inspirés de modèles anciens respectant les doigtés baroques ou « anglais » (avec deux trous doubles pour certaines altérations). Lui succédera, le luthier allemand Peter Harlan qui détourna les modèles originaux à des fins pratiques sans doubles trous. Deux écoles de facture, s'affrontent dans les années 1930. L'une Baroque et l'autre, plus sociale et commerciale au prix d'une simplification excessive. C’est ce dernier instrument qui fera son apparition à grande échelle dans les classes.
L’âge d’or du Pipeau.

Il faut attendre le néerlandais Frans Brüggen pionnier dans la redécouverte de la Flûte baroque, ainsi que de la musique ancienne. En 1954, à 21 ans il est nommé professeur au Conservatoire royal de La Haye. Il enseignera par la suite dans les prestigieuses universités de Harvard et de Californie, aux Etats-Unis et influencera l'enseignement moderne de la flûte à bec.
Instrumentiste et chef d’orchestre, Frans Brüggen vient de décéder le 13 août à l'âge de 79 ans quelques semaines avant le déferlement médiatique en France sur la flûte à bec (le pipeau des écoles).

Son nom n’a été cité dans aucun article. Sans doute la reconnaissance qu’il n’avait rien à voir avec cette histoire de pipeau.

Fantasie n° 3 - Telemann – par Frans Brüggen.



Y.R.