L’acteur, metteur en scène, directeur de théâtre Jérôme Savary est décédé à 71 ans le 4 mars 2013 à Levallois-Perret. Musicien lui-même, il a été l’un des promoteurs du théâtre musical français dans lequel la farce, l’humour et le cirque avec ses parades musicales étaient conviés sur les plus grandes scènes du Monde. Fondateur du mythique Magic Circus, directeur de l’Opéra Comique, saltimbanque passionné, chef de bande, à l’instar d’un Molière des temps modernes, il aborda avec succès et talent, la comédie musicale et l'opérette, l'opéra-bouffe et l'opéra-comique, ou parfois même, l'opéra.
Cimetière du Père-Lachaise 12 mars.
La troupe du Grand Magic Circus lui a rendu un dernier hommage pour ses obsèques. |
Jérôme Savary côté trompette Extrait de l’interview accordé en 2006 « Je suis né à Buenos Aires, une ville mélancolique mais qui chante et qui danse, et qui m’a donné très tôt la passion de la musique. Arrivé à l’âge de 6 ans en France, j’ai suivi les cours d’initiation à la musique avec un grand monsieur, Maurice Martenot, l’inventeur des Ondes Martenot. C’est lui qui m’a donné le sens du rythme. Plus tard, dès mon entrée à l’Ecole des Arts Déco, naturellement attiré par la fête, j’ai rejoint rapidement la Fanfare de l’école, d’abord à la batterie. Mais je me suis vite rendu compte que le batteur était sollicité tout le temps ! Pendant les séances de bal, impossible de quitter la Fanfare pour boire un coup ou draguer les filles ! J’ai donc changé d’instrument et choisi la trompette… Les copains de la Fanfare m’ont donné deux ou trois indications, ce sont les seuls cours dont j’ai bénéficié ! On jouait le répertoire des Fanfares, des polkas et des valses. Je me suis mis à en composer quelques unes : c’était rigolo ! J’ai toujours adoré ça, cette musique populaire. Plus tard, vers l’âge de 20 ans, j’ai séjourné aux Etats-Unis et vécu avec une photographe spécialisée dans les photos de Jazz. Avec elle, j’ai approché les plus grands, Miles Davis, Coltrane, Count Basie et surtout Thelonious Monk qui jouait pour moi seul ses plus grandes compositions… J’ai pénétré dans l’univers du Jazz par la grande et la petite porte. Je respirais le jazz et cela ne m’a plus quitté. Alors la trompette, c’est ma madeleine ! Plus tard, je me suis intéressé à la composition musicale et j’ai pris des cours d’harmonie jazz.
Nina Savary et Jérôme Savary à l’affiche de « Ma vie d’artiste racontée à ma fille »
La trompette est un instrument difficile, qui normalement demande un entraînement régulier. Mais moi je suis un dilettante, je ne la travaille pas. Dans mon spectacle « Ma vie d’artiste racontée à ma fille », j’interprète quelques morceaux seulement. Grâce à la tournée, je joue régulièrement et c’est vrai que ça va de mieux en mieux. Mais je n’ai pas le temps de travailler et cela ne me dit rien pour l’instant. J’espère à ma retraite pouvoir prendre enfin des cours ! Pour l’instant cela me convient ainsi. D’ailleurs, avant d’entrer sur scène, je ne fais pas comme vous dites d’échauffement : je garde mes réserves de lèvres pour mes cinq morceaux. J’admire bien sûr les classiques et connaît bien Maurice André, mais ensemble on parle d’autre chose que de trompette, j’aurais vraiment des complexes ! J’ai également un bon copain, Bernard Soustrot, c’est un merveilleux trompettiste, j’adore sa sonorité et sa musicalité, c’est la grande classe ! J’écoute surtout du jazz, Miles et toute cette époque des années 60. Moi qui me considère comme un petit trompettiste, quand je suis sur scène, j’ai la grande chance d’être accompagné par les plus grands musiciens comme mon compagnon de route depuis des années, Gérard Daguerre au piano, ou Roland Romanelli à l’accordéon. Ce soir au trombone, vous entendrez Jean-Luc Pagni qui m’accompagne dans une fanfare de cuivres dans laquelle ma fille Nina fait les pompes au tuba. C’est de famille, je crois ! Je me suis toujours battu pour le spectacle vivant… C’est vrai, et j’ai toujours été entouré de musiciens sur scène. Avec moi pas de play-back. Dès le départ dans les années 68 avec le Magic Circus, j’ai recruté des comédiens-danseurs-musiciens-acrobates. Bien sûr ils n’excellaient pas en tout, mais à force ils progressaient. C’était une école sur le tas ! J’ai toujours monté des spectacles en intégrant la musique. Mon art, c’est celui de la comédie musicale et aussi le théâtre musical. C’est une manière nouvelle de s’exprimer, de raconter une histoire sans le problème de compréhension du théâtre, dans le respect du spectacle vivant. L’exemple le plus abouti est l’Histoire du soldat de Stravinsky, que j’ai monté plusieurs fois et avec lequel j’ai fait le tour du monde, bien sûr pas comme cornettiste.... Récemment, nous avons monté Zazou, une comédie musicale dont l’interprète est ma fille Nina accompagnée d’un ensemble musical important. Avec comme première trompette Tony Russo et ses aigus incroyablement faciles. Je regrette vivement qu’en France on ne fasse pas la chasse aux bandes sons diffusées lors des comédies musicales. Cela gangrène maintenant aussi le ballet et pourquoi pas bientôt l’Opéra… C’est la logique financière…. Il faudrait faire comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, déclarer le play-back hors la loi, mais ici les syndicats ont baissé les bras… » Je vous quitte, je monte sur scène… Jérôme Savary embouche la trompette à froid. La sonorité est ample, timbrée, droite sans vibrato superflu. Les phrasés jazzy de référence sont maîtrisés ainsi que le flatterzunge qu’il semble apprécier. Les nuances piano ne s’étiolent pas, bien que soutenues par un air placé très haut, les joues gonflées. Les mélodies sont agréables, les impros bien rodées enchâssées d’un accompagnement de grande qualité. Après une mélodie à la trompette, il reprend sa narration dans un vif débit contant l’histoire de sa vie tumultueuse. Buvant une bière, rallumant son cigare pour ensuite ressaisir la trompette. Tout ce qui est déconseillé ! Mais lui s’amuse… Et si l’on perçoit parfois son inquiétude avant d’emboucher avec ce geste instinctif et nerveux d’appuis rapides sur les pistons, il lève la trompette et lance un thème endiablé. Au dernier rappel, il reprend la dernière phrase musicale qui monte en progression harmonique pour atteindre un contre-ut saturé… de plaisirs avant de balancer à la salle « Mort au play-back ! ». A la sortie des coulisses, il me dit « je suis fatigué, j’ai un bouton à la lèvre qui me fait mal. C’était correct de là où vous étiez placé ? ».
C’était parfait Monsieur Savary ! Bravo l’artiste, bravo le trompettiste !
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