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Claude Delangle et Philippe Ferro

Création Mutualisée



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Claude Delangle et l’Orchestre d’Harmonie des Jeunes Région Centre dirigé par Philippe Ferro

En novembre, l’Orchestre d’Harmonie de la Région Centre dirigé par Philippe Ferro  invitait pour sa tournée de concert automnale, le saxophoniste Claude Delangle. Au programme, deux créations. L’une pour orchestre de Pascal Zavaro, New Metal Music et le Concerto pour saxophone alto et Orchestre à vent de Frank Ticheli.
L’américain Frank Ticheli né en 1958 est bien connu pour ses œuvres pour orchestre d'harmonie, dont beaucoup sont devenus des standards du répertoire. C’est aussi un chef éminent qui enseigne à la faculté de musicologie de l’Université de Thornton en Californie du Sud depuis 1991.
Ces concerts avec l’OHRC dirigés comme d’habitude avec maestria par Philippe Ferro, nous ont donné la possibilité de nous entretenir avec Claude Delangle, concertiste et professeur au CNSMD de Paris.

Entretien avec Claude Delangle

Vous venez de créer le Concerto pour saxophone alto et orchestre à vent du  compositeur et chef d'orchestre américain Frank Ticheli. Sa musique est  décrite par le magazine "Los Angeles Times" comme «optimiste et réfléchie ». Reprenez-vous ces qualificatifs après cette série de concerts en France avec l’Orchestre d’Harmonie Région Centre dirigé par Philippe Ferro ?
Frank Ticheli nous a livré une œuvre d’une belle facture dans une formule concerto en trois mouvements qui ne bouleverse pas l’ordre établi et abouti à un « happy end » dans la tradition américaine. Pour autant cette composition est singulière par le fait de rapprocher deux univers, celui de la virtuosité imposée et écrite et le traitement d’influences de jazz. Surtout dans le premier mouvement avec des références aux big bands puisque le saxophone soliste intègre quasiment en homorythmie le pupitre de sax de l’orchestre d’harmonie. Il en devient le leader.
Cette partition reste très véloce et requière la maitrise des aigus du saxophone alto.
J’ai eu beaucoup de plaisir à la découvrir et offrir sa création mondiale au public français durant cette petite tournée avec l’OHRC dirigé par Philippe Ferro. Ce concerto sera rejoué par 16 orchestres américains et un thaïlandais avec d’autres solistes dont Clifford Leaman, saxophoniste, professeur à l’Université de Caroline du Sud.
Les commandes institutionnelles étant assez rares, les musiciens anglo-saxons et bien entendu les américains ont l’habitude de mutualiser les commandes aux compositeurs. Connaissant la majeure partie des saxophonistes internationaux, un ami de Boston m’a fait cette proposition que j’ai transmise à l’OHRC qui l’a acceptée. C’est important qu’une nouvelle œuvre circule très rapidement et soit rejouée par différents interprètes.

Vous êtes le premier à l’avoir créée. Avez-vous correspondu avec Frank Ticheli pour finaliser son écriture et son interprétation ?
Nous avons correspondu pour avoir quelques détails mais l’écriture tonale de Frank Ticheli est très limpide et je me suis fié à mon intuition et à celle de mon ami Philippe Ferro pour l’interprétation. Cette pièce répond à l’attente de nombreux saxophonistes « classiques », une musique de couleurs où résonne l’ambiance descriptive cinématographique avec une partie orchestrale imposante. D’ailleurs, Frank Ticheli n’envisage pas de version pour soliste et piano.

Lors du concert à Olivet, un enregistrement live a été réalisé. Une tension supplémentaire pour vous et pour les membres de l’orchestre ?
En effet, le stress de l’enregistrement nous le connaissons tous et davantage en concert. Nous avons fait une générale d’une heure et demi pour régler la balance des micros. Cela nous a permis de nous concentrer et aussi de nous rassurer. Je dois dire que cela a été facilité par la motivation et l’engagement de cet orchestre qui réunit des étudiants et jeunes professionnels de la Région Centre. Un exemple de mixité entre jeunes en formation dans les Conservatoires et quelques enseignants. Il se dégage de cette formation une envie de bien faire, de respect et d’engagement. Le travail en sessions proposé par Philippe Ferro est vraiment porteur d’un projet artistique que chacun a envie de concrétiser en concert. La personnalité de Philippe, chef respecté et incontesté, fédère au plus haut point ces musiciens qui ne sont pas encore blasés de tout.
Votre biographie comporte les termes de Concertiste, chercheur et pédagogue. Si vous le voulez-bien nous les prendrons dans l’ordre.
CONCERTISTE
Concertiste, cela fait maintenant plus de trente ans que vous le prouvez autour du répertoire classique du saxophone et bien entendu contemporain que vous défendez et vous contribuez à enrichir. Quelles sont celles que vous reprogrammez le plus souvent ?
Les classiques comme Ibert, Debussy, Glazounov, Franck Martin, Larson mais j’ai aussi une prédilection pour Résurgences de Michael Jarrell, les pièces de Donatoni, Philippe Leroux, Berio ou Bruno Mantovani.
J’apprécie bien évidemment les contemporains qui apportent au saxophone l’écrin de l’accompagnement de l’orchestre symphonique ou à cordes, comme Mantovani, Constant, Francesconi, Salonen, Hosokawa, Luis de Pablo, Ligeti, ou Jolas.
J’ai eu la chance très tôt, à vingt ans, de servir la musique contemporaine grâce à Pierre Boulez qui, en 1986, m’auditionna et m’invita à participer à l’aventure de l’Ensemble Intercontemporain. Le saxophone est un instrument relativement jeune qui a séduit rapidement les compositeurs comme instrument soliste, en musique de chambre ou intégré en petite formation comme « La Création du Monde » de Darius Milhaud. De plus, nous avons l’avantage contrairement à la majorité des autres instrumentistes à vent d’avoir la possibilité d’évoluer dans les différents registres, du plus aigu au plus grave. Cela reste un réel avantage.
Mes nombreux voyages à travers le monde géographique ou artistique m’ont ouvert à des univers les plus divers et notamment les musiques populaires. Depuis ma rencontre avec Astor Piazolla en 1988 qui m’a dédicacé Tango-Etudes, je n’ai cessé de me nourrir de cet univers. En témoigne le CD paru en 2003, Tango futur- Paris-Buenos Aires chez le label BIS.
En 2013, vient de paraître le CD « La Création du Monde » dans lequel je suis accompagné du Swidish Wind Band, dirigé par Christian Lindberg, le célèbre tromboniste suédois. Nous retrouvons les compositeurs Milhaud, John Williams, Paul Creston, Roger Boutry et tout fin de programme Escualo d’Astor Piazzolla.

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CHERCHEUR
Vous qualifiez vous de chercheur en esthétique ?

Pourquoi pas ? La musique est une matière mobile ; je n’ai pas d’idolâtrie particulière pour une époque ou un style. Je suis assez libre autant dans mes choix esthétiques de répertoire, d’interprétation ou de conseils pédagogiques. Je n’ai rien à défendre en particulier si ce n’est un esprit de recherche justement, de quête de vérité dans l’attitude et d’authenticité d’une manière ou d’une autre (cf. transcriptions) et peut-être aussi de professionnalisme. Le fait de jouer beaucoup, de mûrir (on va dire de vieillir !) libère beaucoup des tabous, des raideurs, des idées toutes faites. La vie apprend à être souple. On développe son goût, on s’ouvre toujours plus à de nouvelles perspectives (improvisations dans les cadences). On prend confiance dans sa fragilité !

Vos prédécesseurs comme Marcel Mule ou Daniel Defayet ont imprimé leurs marques par une maitrise du vibrato. Vous aviez vous-même interviewé Marcel Mule en 1994 sur « l’histoire du vibrato ». Quel est votre point de vue actuel sur ce son « vibré » au saxophone ?
Je suis repéré comme un saxophoniste qui utilise très peu de vibrato, mais ce merveilleux ornement du son continue à être pour moi une donne importante du son et de l’expression. On disait autrefois à juste titre que pour avoir un beau vibrato il fallait d’abord avoir un beau son droit, c’est très juste, mais j’ajoute aujourd’hui que pour avoir un beau son droit il faut savoir parfaitement maîtriser les différents styles de vibrato !
Le vibrato reste un ornement du son, même dans la musique contemporaine. Mais il doit être utilisé comme un condiment, avec parcimonie.

Quelles sont vos recherches sur l’instrument et ses accessoires ?
Pour nous, les instrumentistes à vent, le matériel, ligature et anches, tout ceci focalise trop souvent l’esprit du musicien au détriment de la musique. Tout en faisant bénéficier l’héritage avec les nouvelles technologies comme pour les anches Vandoren ou les saxophones Selmer, nous recherchons le matériel « idéal » tout en sachant qu’il faut aussi avoir à l’esprit qu’il faut s’en détacher et ne pas le rendre responsable de tout problème. C’est vrai que pour le choix de l’anche, je me contente de la sortir de son flocage, la mouille et la joue sans trop y faire reposer mes propres sensations.
Dans une vidéo Vandoren, accompagné de votre épouse, Odile Delangle, vous illustrez par une séquence musicale ce choix de matériel ? Est-ce toujours aussi simple la musique ?  
C’est toute la question de l’art et certainement de toute activité humaine : entre travail et cadeau, entre effort et don, transpiration et inspiration ! La facilité, le « naturel », sont l’objectif. Toute notre relation au beau et au bon est de cet ordre.



Quelles sont les nouvelles améliorations récentes apportées par les facteurs aux saxophones ?
Sans conteste, l’ergonomie.
Je me souviens d’une tendinite suite à l’enregistrement avec un alto d’Adolphe Sax fabriqué en 1890.
Mais aussi les progrès de la facture ont permis l’équilibre entre les paramètres objectifs et les subjectifs : justesse/charme, émission/couleur, versatilité en fonction des esthétiques.

PÉDAGOGUE

Vous enseigner au CNSMD Paris depuis 1988.
J’avais moins de trente ans quant j’ai été nommé. J’avais déjà l’expérience acquise au conservatoire d’Angoulême puis au CNR de Boulogne-Billancourt. Mais à l’époque, c’était assez jeune pour accéder à une place prestigieuse. Je pense que mon activité auprès de Pierre Boulez a compté pour cette nomination.

Deux décennies plus tard, quel bilan tirez-vous concernant l’évolution du profil des jeunes étudiants ?

A l’époque de mes études, l’enseignement se faisait exclusivement avec l’alto, sa technique et son répertoire. C’était volontaire. On faisait peu de choses mais avec beaucoup d’exigence, de rigueur que ce soit en technique de base ou de répertoire.
Les élèves les plus forts étaient avantagés, les autres plus fragiles étaient laminés. J’ai ouvert l’environnement à l’ensemble de la famille des sax et les ai intégrés dans le cursus des études. Nous faisons beaucoup de musique de chambre et bien sûr du quatuor.
Nous avons fait récemment l’acquisition d’un soprilo (Saxophone suraigu en Sib) et un tubax (sax. Contrebasse en mib) produits par Benedikt Eppelsheim à Munich.
Mais c’est l’ensemble de l’établissement qui s’est complètement modifié et largement ouvert. Si le niveau instrumental s’est élevé, la transversalité nous apporte beaucoup. Ainsi avec la formation aux métiers du son, nous disposons de matériel et de technologie d’enregistrement. J’ai aussi ouvert ma classe à l’international en travaillant en réseau et collaborations avec d’autres institutions.
Notre établissement se doit d’offrir une voie professionnelle à ses étudiants.
L’intégration de l’enseignement artistique dans le schéma LMD universitaire apporte des réponses mais aussi quelques difficultés en augmentant la durée des études.
En master, nous avons des étudiants assez âgés qui ont déjà une personnalité affirmée. C’est bien mais souvent cela les freine dans leur recherche et développement artistiques. Ils ont déjà une réputation à défendre et manque parfois de souplesse pour une remise en cause ou pour prendre des risques artistiques.

Acceptez-vous beaucoup d’étudiants étrangers ?
Actuellement sur douze, j’ai six élèves étrangers dont deux japonais, un chinois, un espagnol, un polonais et pour la première fois un australien.
Je dois prendre le taureau par les cornes pour motiver tout ce petit monde avec comme objectif le diplôme de master. Certains viennent davantage dans l’esprit de complément de formation que dans l’objectif de formation diplômante.
En revanche, les étudiants qui se destinent à poursuivre un troisième cycle d’enseignement supérieur soit en doctorat de recherche ; soit d’interprète, porte un vrai projet. C’est un nouveau profil d’étudiants dans nos domaines artistiques et pédagogiques.
Mais je continue de penser et de proclamer que tout musicien doit être un chercheur.

Que pensez-vous de la multiplication des postes et des classes de saxophones pour l’accession au diplôme du premier cycle supérieur (le DNSPM) ?

Bonne ou mauvaise chose ? S’il y a un exemple à ne pas suivre, c’est celui de l’Italie où ont fleuri de nombreux conservatoires dits supérieurs. Une véritable bombe à retardement, car ce sont souvent la plupart du temps, des salles d’attentes pour retarder l’inscription des artistes au chômage.
Ceci dit, les classes supérieures de saxophones sont en France encore en quantité limitée. Mes collègues qui y enseignent sont remarquables, Gilles Tressos et Christophe Bois à Poitiers, Philippe Portejoie à Paris Boulogne, Marie-Bernadette Charrier à Bordeaux…
Notre système d’enseignement artistique reste parallèle de l’Université et n’est pas conçu comme celui aux Etats-Unis qui l’intègre. Nous avons un autre modèle d’excellence mais qui coûte très cher et quasiment gratuit pour les étudiants avec très peu de places accessibles.
En premier cycle, les pôles supérieurs proposent des formations mixtes artistiques et pédagogie. Il est essentiel de ne pas orienter uniquement vers les métiers de la pédagogie car un enseignant doit aussi vivre sur scène.
Saxophonistes, nous avons un instrument assez marginal, qui n’a pas de « chaise » à l’orchestre et les postes statutaires de musiciens sont assez rares. Nous avons donc dû innover. Je cite souvent l’exemple du quatuor des Desaxés dont trois sur quatre sont d’anciens élèves qui ont su renouveler le genre.
Les jeunes doivent aussi découvrir la phase cachée de la profession artistique avec les emplois de médiation culturelle, la communication ou la direction artistique.
Les mesures de restrictions d’emplois dans les musiques professionnelles et notamment dans les formations d’harmonie n’arrangent rien et notamment pour les saxophonistes ?
Bien sûr, mais on peut penser que l’économie autour de l’orchestre, en tant que formation issue du 19ème siècle est dépassée. De même semble-t-il pour l’orchestre d’harmonie à statut militaire. Mais quand on voit la démarche de Philippe Ferro et l’OHRC on espère qu’un modèle civil pérenne pourra émerger en France, à l’instar d’autres pays comme l’Espagne ou le Japon.

Vous enseignez régulièrement à l’invitation des grandes universités américaines, japonaises et même en Chine. La « french touch » est-elle toujours enviée ?
Oui, effectivement, les artistes français sont encore et toujours très appréciés et invités régulièrement pour des Master-Class et concerts.

Que transposez-vous en France des types d’enseignement que vous rencontrez à l’extérieur ?
L’interactivité, l’énergie de l’Amérique du Sud qui maintient une grande proximité avec les musiques populaires.

Vous avez la réputation d’un spécialiste du soprano et de l’alto. Beaucoup ignore que vous avez commencé, très jeune, au baryton à la Musique de la Police Nationale de 1977 à 1978.
J’étais exactement au deuxième saxophone baryton, pour un an. Auparavant, j’avais découvert l’orchestre à vent dans la ville de ma jeunesse, Lyon, incité à y participer par mon professeur Serge Bichon.

Quels souvenirs gardez-vous de votre passage à la Musique de la Police Nationale ?
J’ai en mémoire la gentillesse et l’expérience de mes ainés du pupitre de saxophone, Jacques Desloges, Jean Leberger, Michel Lepève….
Me vient une anecdote, celle d’avoir suivi pendant quelques jours, les cours de police d’Hubert Bichon, frère de mon professeur à Lyon. Hubert, trompettiste à la musique était un personnage très conciliant et patient avec les jeunes recrues empressés que nous étions de rejoindre leur instrument.

Y.R.