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André Henry, Trompettiste international

Retour aux sources le temps d’une tournée en France



andré scène

Entretien avec André HENRY
André Henry, ce mercredi 18 décembre à partir de 9h, Robert Martin Lyon t’accueille pour une master class, un récital et la présentation de ton recueil avec CD Les fondamentaux récréatifs, sur des 26 exercices de la méthode Arban, dans la collection Pierre Dutot. Après tes activités artistiques de trompettiste et de professeur en Chine et au Japon, c’est un retour aux sources le temps d’une tournée en France ?
Un retour dans cette belle ville de Lyon, où j’ai eu la chance d’être enseignant associé de la classe de trompette de Pierre Dutot au CNSMD, il y a quelques années. Aujourd’hui, je suis ravi de cette rencontre initiée par les Editions Robert Martin où je retrouve Pierre Dutot et la pianiste Véronique Goudin Léger. J’aurai le plaisir de créer la version du concerto N°2 EROÏCK (Éditions Robert Martin) de Marcel Kentsubitsch, compositeur japonais et de présenter ma conception du « détaché » sur des exercices de la méthode Arban. 26 exercices dont j’ai réalisé l’accompagnement dans 26 styles distincts.

Le public français n’entend pas souvent cette belle voix de la trompette qui enchante les lointaines contrées d’Asie depuis plus d’une décennie, pourquoi ?
Ma carrière a basculé en 1996, avec le prix d’Interprétation musicale obtenu à Genève. J’occupais le poste de trompette solo Trompette Solo à l'Orchestre des Pays de Loire. Ce prix m’a ouvert les portes des invitations internationales Venezuela, Brésil, Canada et Etats-Unis. C’est lors d’un Congrès de l’International Trumpet Guild organisé à New-York par l’entremise du distributeur en Asie de la Maison espagnole STOMVI que j’ai été introduit d’abord au Japon pour des master-class et quelques concerts puis en Chine. En 2001, je décide de m’installer à Pékin et accède au poste de trompette solo de l’Orchestre Philharmonique de Chine. J’ai partagé mon temps depuis ces dix dernières années entre la Chine et le Japon, en témoigne mon passeport rempli de tampons, quasiment illisible. En 2010, le Japon m’offre la place de professeur à l’Université de Tokyo Ondaï et au Kunitachi College of Music. Depuis avril 2013, j’enseigne aussi à Soai University. Voila pourquoi je suis rarement en France sauf dans cette période de fin d’année où je visite ma famille ardéchoise au Cheylard.


Tu en profites également pour faire quelques concerts
Oui, grâce encore à Pierre Dutot et l’ensemble de cuivres Hexagone nous faisons une petite tournée dans la jura à l’invitation du Conservatoire de Lons-Le-Saunier.
Mais je vois davantage mes amis français au cours de leurs tournées au Japon, artistes que j’invite en master-class dans mes classes universitaires ou comme membre du jury. Comme récemment les trompettistes Eric Aubier qui accompagnait l’Orchestre de la Garde Républicaine et Frédéric Mellardi, en tournée avec l’Orchestre de Paris.

Tu avais été invité en Chine pour dynamiser l’enseignement et la pratique de la trompette. Quel est le bilan ?
En arrivant en Chine, j’avais deux solutions : soit faire preuve de condescendance et jouer à El Mastro en imposant ta soi-disante science et culture européenne. Soit tu te sens invité à partager – honoré comme tel et sans plus. Dans le premier cas, tu restes une semaine. J’y suis resté dix ans.
Depuis mon arrivée en 2000, j’ai eu des contacts privilégiés avec les musiciens de l’Orchestre National de Chine et son chef Yu Long. J’ai vu et participé au développement artistique fulgurant notamment pour les instrumentistes à vent. Beaucoup de jeunes trompettistes ont fait des centaines de kilomètres chaque semaine pour prendre des cours avec moi. Leurs familles ont fait de considérables sacrifices. Ils me rappelaient ma propre formation de jeune trompettiste, isolé dans mon petit village ardéchois. L’un d’entre eux est venu en France, d’abord au CRR de Lyon avec André Jung puis a obtenu ses diplômes avec Thierry Caens en 2012 au CNSMD de Lyon. Quelques autres ont été se former dans d’autres pays avant de revenir dans leur pays d’origine. Ce dont je suis le plus fier est que c’est mon jeune collègue, deuxième trompette de l’Orchestre de Chine, Liu Xiaolin m’a succédé comme trompette solo. Nous avions beaucoup de complicité artistique et j’ai proposé sa nomination au chef Yu Long avant mon départ. C’est comme cela que j’ai appréhendé mon invitation en Chine, un passage de témoin.
En 2007, Pékin a inauguré son premier conservatoire supérieur et j’ai été appelé à y enseigner par mon collègue tromboniste de l’orchestre, Hoa Jay, nommé responsable du département cuivres.
Le plus époustouflant en Chine c’est la création en 5 ou 6 ans d’une dizaine d’orchestres symphoniques et surtout la construction de grandes de salles de répétition et de concert dans les provinces, des salles superbement équipées.

Tu avais comme challenge de faire découvrir aux Chinois la musique Baroque et bien sûr les grandes œuvres de J.S. Bach où la petite trompette domine. Quelles sont les avancées ?
Le grand répertoire symphonique européen n’est au programme que depuis une vingtaine d’années. Si les cordes avec l’influence de l’URSS avant 1990 s’étaient développés, tout restait à faire pour les vents et en particulier les cuivres. Dans les années 1970, le seul trompettiste qui avait fait ses études à l’étranger, en Hongrie, est Baï Lin, ancien professeur au conservatoire central de Chine à Pékin. Les chinois en une dizaine d’années viennent de rejoindre le « grand concert des Nations symphoniques ». Reste effectivement à faire découvrir les formations dites baroques qui n’existaient quasiment pas comme d’ailleurs le jeu de la trompette piccolo comme nous la connaissons depuis Maurice André. J’ai pu faire quelques concerts avec un chef anglais et un ensemble de solistes pour faire revivre quelques œuvres baroques. Je me suis régalé à la piccolo. J’ai le souvenir d’un grand concert donné dans la Cité Interdite.
En parallèle, j’ai développé avec mes collègues de pupitres le quintette de cuivres et nous avons enregistré un CD sur des bases de musiques traditionnelles arrangées et développées.
Malheureusement, ce quintette a été dissous suite au décès brutal à 46 ans du tubiste Yue Gao.

Tu as quitté la Chine pour le Japon, quelles sont les différences fondamentales ?
Le développement en Chine est fulgurant mais reste « brouillon », l’imagination est au pouvoir, l’esprit créatif est en ébullition. Au Japon, tout n’est ordre et respect d’une certaine planification où tout est minuté. En exemple, chaque fois que j’y joue en concert, dans les coulisses est affiché le moment de chaque passage. A chaque fois que j’arrive sur scène, je m’amuse à vérifier, le respect de la ponctualité à la minute près est parfaitement respecté. En ce qui concerne le développement artistique, le Japon pour son éducation initiale n’attend pas les artistes étrangers. Chaque école ou collège intègre dans son cursus l’apprentissage de la musique, notamment par la pratique d’ensemble en orchestre d’harmonie. Les élèves ont le choix entre les sections de sport, de musique ou théâtre ce qui explique qu’énormément de filles se dirigent vers l’étude instrumentale.

Plus de 18 000 orchestres de jeunes sont répertoriés et un grand concours national les motive. D’ailleurs c’est peu être là une sorte d’écueil car le plus souvent les élèves ne travaillent à l’année que deux morceaux dans le seul but de la compétition. De plus, les instructeurs musicaux sont tellement polyvalents que trop souvent les bases essentielles à la tenue ou au « geste musical » sont suffisamment acquises. L’autorité est très fortement acceptée et les séniors enseignent au plus jeune. Pour ceux qui se destinent à une activité professionnelle de musicien, les Universités les accueillent comme là où j’enseigne près de Tokyo. Le niveau d’entrée des étudiants cuivres n’est donc pas très élevé par rapport à ce que nous connaissons en France dans nos CRR. Il faut donc aux enseignants de l’enseignement supérieur rattraper en trois ou quatre ans un certain retard. Mais ces élèves sont extrêmement motivés. De part leur ambition mais aussi par le coût de la scolarité d’environ 20 000 €.
C’est pourquoi, dès mon arrivée à Tokyo Ondaï en concertation avec mon collègue trompettiste Naohiro Tsuken, j’ai proposé la mise en place d’examens trimestriels. Cela a été bien accepté et cela donne des repères aux jeunes étudiants. Nous faisons également beaucoup d’ensemble de trompettes. Nous avons à gérer 42 élèves. C’est dans ce contexte que j’ai pu inviter comme membre du jury Pierre Dutot, Eric Aubier ou Frédéric Mellardi. Cela ne se faisait pas auparavant. Je pense qu’il est bon également pour les enseignants d’avoir un avis extérieur lors de ces épreuves imposées.

Tu fais tes cours en quelle langue ?
Les professeurs étrangers sont assez rares. A Tokyo Ondaï, nous sommes quatre invités : un trompettiste américain, un violoncelliste russe et chanteur italien. Nous avons la chance que le gouvernement japonais impose aux jeunes étudiants de pratiquer l’anglais et encourage les cours dans cette langue. C’est vrai que cela me facilite la tâche. Mais comme en Chine, je m’oblige à parler les rudiments de la langue du pays d’accueil.
Combien d’heures d’enseignement as-tu ?
Au Japon, cela ne ce compte pas en heures. Tu acceptes un poste, une mission et tu définis ton temps en fonction de tes objectifs et des besoins. Je suis dans et avec ma classe autant qu’il faut. Souvent de 10h à 20h. Parfois le samedi. J’enseigne aussi à KUNITACHI, un autre établissement d’enseignement supérieur spécialisé en musique. Cela m’arrange car Tokyo Ondaï et KUNITACHI sont à équidistance de mon lieu de résidence près de Tokyo. D’ailleurs au Japon, le cumul n’est pas interdit, il est même bien vu.

Quels sont les moyens donnés par Tokoy Ondaï ?
Les Universités musicales sont comme le reste au Japon en perpétuelle concurrence. Il faut se faire connaître et respecté pour intéresser de nouveaux élèves et étudiants. C’est ainsi que l’administration de Tokyo Ondaï m’envoie régulièrement en mission à travers tout le Japon pour des master-class et des séries de concerts. Tout est parfaitement organisé et programmé.
Chaque année à lieu Tokyo Ondaï organise un concours national, nommé Kanda. L’année dernière 270 trompettistes étaient inscrits. Un de mes élèves de Tokyo a remporté le second prix. Inutile d’insister sur la publicité pour Tokyo Ondaï.
En Mai 2014, je pars avec quelques élèves à Nagano pour une série de 12 concerts sur quelques jours.
J’ai donc la chance de me produire régulièrement en public, souvent accompagné de l’orchestre d’harmonie de l’Université ou du collège d’accueil.

Eric Aubier et André Henry, ses élèves

andré henry groupe

Dans une vidéo visible sur Youtube tu interprètes le concerto d’Aratunian avec quel orchestre d’harmonie ?
C’est un concert enregistré à Taiwan avec l’orchestre du Tokyo Ondaï constitué des étudiants en quatrième année. Cela joue d’enfer et c’est vraiment un régal de jouer avec eux, d’autant qu’ils sont merveilleusement dirigés par un grand chef Yasuhiko Shiozawa. On peut y déceler les moyens que nous avons pour travailler efficacement.

Tu nous dis que la trompette piccolo n’est plus attendu comme autrefois.
C’est vrai au Japon, comme ailleurs. Cette mode reviendra peut-être mais pour l’instant le public attend autre chose. Je suis épaté de la réaction des salles de concert quand je joue le cornet à pistons. C’est un véritable emballement du public  qui découvre le répertoire des polkas comme Myrto, Goutte d’eau. Je le fais redécouvrir également à mes collègues trompettistes et ne manque pas de programmer en duo « Merle et pinson ».
Je joue aussi régulièrement en duo avec l’un des spécialistes de l’euphonium,  Shoichiro Hokazono, lauréat comme moi du regretté concours « Prestige des Cuivres » de Guebwiller en France.
Nous programmons des œuvres adaptées pour nos deux instruments ou nouvelles comme le Duo concertant de James Barnes. Nous l’enregistrons bientôt avec le Toke Civic Orchestra.

Pourquoi t’es-tu penché sur le « détaché » de Jean-Baptiste Arban ?
D’abord c’est notre référence incontournable et puis en Chine comme au Japon, l’école française est très appréciée. Auparavant les trompettistes étaient formés au travers de la méthode allemande (Berlin) et autrichienne (Vienne). La renommée de Maurice André fit le reste. Certains, comme Mineo Sugiki ex professeur à Tokoy Gedaï a été un de ses élèves à Paris. Les élèves travaillent donc Arban, Balay… et depuis peu les très intéressantes gammes de Patrick Fabert.
Mais la méthode Arban, malgré elle et malgré Arban, porte en germe ce fameux « tu », qui n’existe pas dans la langue japonaise parlée. Les japonais prononcent TIU. De plus, quand on prononce le japonais, il n’y a pas d’expiration d’air. On utilise donc  plus facilement le DU ou le DI…
Je me suis donc penché sur quelques exercices d’Arban pour « colorer » ces différentes possibilités de prononciation ou de détaché des notes avec un instrument à embouchure.
J’ai réalisé des accompagnements avec un Home Studio dans différents styles musicaux très variés tout en essayant de créer dans une introduction de 8 ou 12 mesures un climat propice à préciser au musicien le touché de notes approprié.

Tu crées en France la version pour trompette et piano du concerto N°2 EROÏCK de Marcel Kentsubitsch. Qui est ce compositeur inconnu ?
C’est un double clin d’œil à la France. Dans ce nom on reconnait celui de mon collègue Naohiro Tsuken adossé à celui du compositeur français Marcel Bitsch, célèbre chez les trompettistes pour ses études et concerto pour trompette et Cornet. Naohiro Tsuken a été plus de trente ans trompette solo de la NHK et compose depuis de nombreuses années.
Son concerto Eroïck qu’il m’a dédié a été écrit en mars 2011. Le deuxième mouvement est précisément composé les quelques jours d’après le terrible tremblement de terre du 11 mars 2011. On ne pouvait plus sortir, tous les établissements étaient fermés. Naohiro a été inspiré pour rendre à cette musique l’émotion ressentie. Je me souviens moi aussi de ce samedi, j’étais dans le métro de Tokyo pour me rendre à mes cours. Soudain la terre est devenue élastique, un véritable cauchemar. On nous a évacués du métro et suis monté dans un taxi. 7 heures pour faire 15 km. Un enfer dans Tokyo, une ruée humaine indescriptible. Mais tout c’est passé dans la dignité. Quand je joue Eroïck, j’y repense. Mais c’est une œuvre enthousiaste. Le thème principal est celui de notre hymne, la marseillaise et la jouer dans une salle de 2 500 auditeurs japonais enthousiastes me comble de joie.
J’aurai aimé le créer en France dans sa version originale avec accompagnement d’Orchestre d’harmonie. Mais je m’aperçois qu’ici tout reste toujours très compliqué.
Mais en entendant la version avec piano, je ne doute pas que cela ne sera que partie remise.


Y.R.